samedi 15 novembre 2008

A propos de la peine de mort

Il n’y a guère de sujet qui prête mieux à discussion que la peine de mort. Elle constitue pour les débats philosophiques un thème de choix, où chacun pense avoir quelque chose à dire parce que ce thème ne requiert aucune connaissance particulière, ce dont la pensée a en général horreur. Devant la peine de mort, l’esprit de spécialité perd sa compétence. Elle fait de tout discoureur un homme habilité à se prononcer. Les avis n’ont d’autre poids que celui de leur pertinence. Un deuxième trait favorise ce genre de discussion. Le parti étant pris en général avant tout examen, on y jouit d’une grande liberté. On n’a plus le souci de rechercher une vérité qui risque de nous échapper faute de rigueur, mais seulement le plaisir de justifier son choix, la joie de plaider une cause. D’ordinaire, cette cause est celle de l’abolition de la peine de mort. Ce n’est pourtant pas celle que nous défendrons. Plutôt d’ailleurs voudrions-nous mettre en lumière les conséquences qui découlent de l’abolition de la peine de mort.

Précisons que dans cet exposé, le terme de criminel désignera toujours le criminel de droit commun et jamais le criminel politique, et donc que la peine de mort ne sera envisagé que comme sanction des crimes de droit commun.

I.– La peine de mort est injuste, inutile, illicite.

Il nous semble qu’on peut grouper les arguments des abolitionnistes sous ces trois titres. Donnons-leur la parole.

La peine de mort est injuste. Si elle injuste, c’est qu’elle n’atteint pas les vrais coupables. Considérons en effet des cas concerts de criminalité. Le plus souvent, ceux qu’on appelle des coupables sont en réalité des victimes. On peut d’ailleurs envisager concurremment trois sortes de causes, les unes ressortissant à la biologie, les autres à la psychologie, les troisièmes à la sociologie. La criminalité, dit-on, peut être le fait d’un déterminisme anatomo-physiologique, soit par exemple d’un déséquilibre hormonal, d’une lésion cérébral, ou encore d’une anomalie chromosomique. Le poids des facteurs biologiques peut être tel qu’il obnubile le jugement libre, et qu’il est donc impossible de rendre le criminel responsable de son acte.

Les facteurs psychologiques ne jouent pas un moindre rôle. La haine, la colère, l’amour sont tout à fait capables d’ôter à un individu la libre disposition de sa volonté. Au surplus, les criminels ne se recrutent pas parmi les gens les plus intelligents ou les plus cultivés. Combien au contraire doivent être regardés comme des caractériels, des psychopathes, ou mêmes des débiles mentaux. La responsabilité d’un acte criminel n’est-elle pas ainsi toujours atténuée ?

Elle l’est d’autant plus que les facteurs psychologiques ne sont souvent eux-mêmes que l’effet de causes biologiques et aussi sociales, les unes se combinant aux autres. Les enquêtes montrent en effet que le milieu, les antécédents sociaux, les traumatismes du jeune âge, les conditions de vie, parfois l’appartenance à une minorité ethnique ou nationale conduisent à la violence meurtrière et cela de deux manières : positivement parce que la violence est partout présente, négativement, parce que ces conditions interdisent le recours à d’autres formes d’expression ou de lutte que le meurtre. La misère, l’alcoolisme, l’habitat concentrationnaire, les conflits familiaux, l’inconduite des parents, voilà les causes positives de la criminalité. Et derrière cette causalité positive, il y a la causalité négative de la société qui se montre insoucieuse du malheur humain ou incapable d’y remédier.

Est-il donc juste de ne punir que le coupable apparent qui le plus souvent n’est que l’instrument aveugle de déterminismes biologiques ou collectifs ?

Admettons même qu’il y ait des cas où le criminel a agi de sang-froid, en pleine connaissance de cause, et donc en toute responsabilité. A quoi cela sert-il de lui ôter la vie ? La peine de mort est-elle utile ?

La peine de mort est inutile. On peut concevoir que la société exige d’être protégée. La peine de mort est-elle une bonne protection ? On sait que le droit pénal, auquel appartient la peine de mort, n’est pas un véritable droit , c’est-à-dire qui règle par des lois les rapports des hommes entre eux, soit comme individu, c’est le droit civil, soit comme membre d’une société, et c’est le droit public. Le droit pénal ne règle pas les rapports des hommes entre eux, mais il règle les rapports des hommes avec le droit civil ou public. C’est un droit protecteur du droit. Je suis puni non point directement parce que j’ai lésé un homme, mais parce que j’ai lésé un droit. On peut montrer à cet égard que l’existence du droit pénal est lié à l’imperfection, tout à fait inévitable, de la loi juridique, qui ne comporte généralement pas de sanction par elle-même. Toute la question est de savoir si le droit civil remplit son office. Or, en ce qui concerne la peine de mort, l’expérience montre qu’il n’en est rien. La criminalité n’a pas augmenté dans les pays qui ont supprimé la peine de mort, laquelle révèle ainsi toute son inutilité. Il serait beaucoup plus efficace, d’une part, de lutter contre la misère, le racisme, l’alcoolisme, l’injustice sociale, de chercher à éliminer les véritables causes de la criminalité, et d’autre part, de rééduquer le criminel, de l’amener à se juger lui-même moralement. Au demeurant, même s’il est impossible de supprimer totalement la criminalité, a-t-on le droit de répondre à un crime par un autre crime ?

La mort peut-elle constituer une véritable peine ?

La peine de mort est illicite. Il n’est pas permis de tuer. Voilà la règle absolue. Comment dès lors pourrait-on considérer comme un droit ce qui est absolument interdit ? Notons, pour ne plus y revenir, que ce principe ne porte pas contre le droit de légitime défense : la défense, en effet, même lorsqu’elle entraîne la mort de l’agresseur, ne vise pas cette mort, mais la conservation de la vie de l’agressé. Considérons plutôt que pour qu’il y ait une sanction pénale, il faut qu’il y ait un coupable, c’est-à-dire un sujet de la culpabilité. Il n’y a peine que si cette peine s’applique à quelqu’un. La pénalisation implique, outre une faute, un pénalisé, sans quoi elle se nie elle-même. Or c’est précisément ce que fait la peine de mort, puisqu’elle détruit le sujet auquel elle s’applique. Elle est donc contradictoire en soi et ne saurait logiquement faire partie du droit pénal. Il est vrai que la faute du criminel est grave, mais, selon une remarque fréquente, on ne peut répondre à un crime par un autre crime.

Cette démonstration est, en fin de compte, assez impressionnante. Reconnaissons que la plupart des arguments fournis sont difficilement réfutables, et qu’ils paraissent répondre à la vérité. Mais s’ensuit-il qu’il faille en tirer la conséquence qu’il est nécessaire d’abolir la peine de mort ? Telle est l’hypothèse que nous voudrions examiner. Nous accordons que les faits dont on tire argument sont constants. Mais il ne nous paraît pas qu’ils entraînent logiquement le rejet de la peine de mort, excepté peut-être le dernier, qui pose un problème particulier.

II. – Signification morale et métaphysique de la peine de mort

La responsabilité du bien. Reprenons donc les arguments exposés, et d’abord les premiers d’entre eux, qui mettent en cause la notion de responsabilité. Rappelons que nous acceptons la vérité des faits allégués (1). Mais si l’on admet la conséquence qu’on veut en tirer, qu’en résulte-il ? Ceci : si l’homme n’est pas responsable du mal qu’il fait, il ne l’est pas non plus du bien. Si le criminel est un malade, malade physique, psychologique, social, le héros est simplement un homme bien portant. Un bon fonctionnement hormonal, une enfance heureuse, un milieu équilibré et plein d’assurance, et voilà qui explique les actes les plus sublimes, les dévouements les plus admirables. Qui ne voit alors que le bien et le mal disparaissent en même temps, et donc qu’on ne peut pas non plus juger la peine de mort comme un mal ?

Autrement dit, on ne peut déclarer moralement injuste la peine de mort au nom d’un principe qui nie toute moralité.

Nous entendons bien qu’on nous répliquera qu’il n’y a pas de parallélisme des conditions du bien et du mal, que le mal c’est la privation de la liberté, mais qu’il ne suffit pas de jouir de son libre arbitre pour faire le bien. En perdant l’usage de la liberté, on perd tout, c’est le cas de l’homme malade. En gardant son libre arbitre, ce que rend possible la bonne santé « socio-psycho-corporelle », on est seulement mis en état de choisir le bien, mais on ne le choisit pas nécessairement. L’acte héroïque n’est pas la conséquence de la bonne santé comme l’acte criminel l’est de la maladie.

Cela est en partie vraie. Entre le criminel et le héros, il y a place pour l’honnête homme, qui sans faire positivement le bien, évite cependant le mal. Pourtant, on peut se demander si les abolitionnistes ne se sont pas interdit à eux-mêmes le droit de faire usage de cet argument. Le cas de l’homme qui, congénitalement ou par accident, est évidemment privé de son libre arbitre ne pose aucun problème de principe, et bien qu’une telle évidence ne soit pas toujours aisée à reconnaître, en fait, un criminel déclaré irresponsable n’est pas condamné. Il ne s’agit donc pas de cela. Il s’agit de savoir, si, par principe, tout acte criminel implique l’irresponsabilité de son auteur. Répondre oui, c’est poser qu’il n’y a pas de question de principe et de droit, mais seulement des questions de fait qui relèvent d’une thérapeutique de fait : médecin, psychologie, politique. Répondre non, c’est poser que tout homme hormis le cas d’aliénation, est toujours libre et toujours responsable. Comment d’ailleurs en serait-il autrement ? S’il est vrai qu’il faut une matière à la liberté, et que cette matière étant déterminée par définition, la liberté ne saurait être la liberté de n’importe quoi (2) il reste que c’est la liberté elle-même qui seule donne un sens aux déterminations qu’elle accepte ou refuse. Le voyageur n’invente pas les déterminations du chemin, sa direction, ses limites, ses difficultés, il doit les subir. Mais le chemin ne produit pas le voyageur. C’est au contraire la libre décision de voyager qui transforme les caractéristiques du chemin en déterminations pour le voyageur. Elles ne préexistent pas comme déterminations, mais sont contemporaines de l’acte libre dont elles deviennent la matière. Ainsi de tout acte. Si le crime est un produit de déterminations pathologiques, il doit nécessairement être considéré comme une maladie. Mais alors il ne serait plus un crime. Sans doute cette thèse, sauf quelques exceptions connues n’a jamais été explicitement soutenue. Pourtant c’est sur elle que reposent, sans qu’on en ait conscience, bien des plaidoyers en faveur de l’abolition de la peine capitale. Elle est fondamentalement négatrice de la liberté humaine. Mais, de ce qu’un homme est toujours responsable de son acte, s’ensuit-il qu’il doive en répondre sur sa vie ?

Responsabilité capitale. Nous avons montré, pensons-nous, que, à supposer qu’il y ait doute philosophique sur la liberté, la seule hypothèse cohérente est celle de la liberté. Toute autre hypothèse est négatrice de sa condition même d’apparition. Par principe, la liberté doit être supposée. Tout criminel est présumé coupable. Mais, dit-on, même si l’on admet la responsabilité du criminel, à quoi bon la peine de mort, dont l’utilité est nulle ? Nous répondrons ceci : la peine de mort peut ne pas présenter d’utilité sociale, encore qu’on ait parfois éprouvé le besoin de la rétablir là où elle avait été abolie. Mais elle constitue une garantie métaphysique, savoir, que la société continue de regarder la liberté de l’homme comme un absolu. Seule en effet une sanction absolue « prouve » la dimension d’absolu de l’acte qu’elle sanctionne. Nous ne cachons pas que nous touchons ici à l’essentiel de notre thèse, dont le reste n’est qu’une préparation.

La liberté, avons-nous dit est un absolu de jure, un absolu de principe. La faire dépendre entièrement de conditions de fait, c’est la nier, même si, en fait, elle en dépend relativement. On reprochera à cette thèse de faire de la liberté une fiction. Ce reproche, même fondé, est sans portée, précisément parce qu’il est de la nature de toute principe d’échapper à la juridiction des faits (3). En revanche, il est de la nature du fait d’être soumis à la juridiction du principe, la soumission du fait au principe n’étant que le rigoureux corollaire de l’indépendance du principe à l’égard du fait : l’une est inséparable de l’autre. Par ailleurs, l’absolu de jure de la liberté est nécessairement lié à l’absolu de jure des principes moraux. Il y a, ici aussi, connexion nécessaire. Or, quelle est, dans l’ordre des faits humains, la réalité absolue, sinon la vie humaine ? La cessation de cette vie, c’est donc le fait absolu qui manifeste, en recours ultime, la juridiction absolue du principe. Dans la peine de mort, peine capitale parce qu’il n’y en a pas de plus grande, un absolu de fait, la vie humaine, répond à un absolu de droit, la liberté. Il faut bien qu’il y ait, dans l’ordre des faits, quelque chose qui réponde à l’absolu dans l’ordre du droit, sinon ce droit ne serait le droit de rien.

On prendra mieux conscience de cette thèse, si l’on considère les conséquences qui découlent de sa négation. Supposons qu’il n’en soit pas ainsi, c’est-à-dire qu’il ne soit pas nécessaire qu’un absolu de fait, la vie humaine, réponde à un absolu de droit, la liberté. A l’instant, c’est la vie humaine qui devient absolu de principe auquel tout le reste doit être sacrifié. Nul ne peut échapper à cette conséquence. Une société qui abolit le principe de la peine de mort prouve par là qu’elle ne croit plus à la valeur absolue de la liberté. Nous pourrions nous exprimer ainsi : la valeur que l’on attribue à un principe moral se mesure à la valeur de ce qu’on accepte ultimement d’y sacrifier. Attention ! Nous ne disons pas qu’il faut trancher abondamment les têtes. Au contraire. Nous disons que renoncer au principe de la peine de mort, c’est affirmer qu’on ne croit plus vraiment à la responsabilité du criminel, puisqu’on lui retire le droit d’en répondre d’une manière absolue, c’est-à-dire sur la vie. Lorsque ce critère négatif de la valeur de la liberté a disparu d’une société, lorsque cette société, dans son ensemble, par sensibilité et humanitarisme, refuse d’instinct la peine de mort, elle témoigne qu’elle ne croit plus vraiment que l’homme soit l’auteur de ses actes.

Sans doute peut-il paraître paradoxal que la peine de mort soit présentée comme la garantie de la reconnaissance sociale de la liberté. Mais la liberté est, elle-même, du point de vue rationnel, un paradoxe, et tout ce qui la concerne participe du même caractère. Il est vrai qu’une société, ayant ainsi renoncé à la peine capitale, peut ne pas avoir une conscience claire de ce qu’implique ce renoncement. Mais tôt ou tard, ces conséquences apparaîtront, parce que la logique est la logique. Il est logique que les valeurs de principe soient gagées sur les valeurs de fait. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait que les hommes soient de purs esprits, ou encore des êtres de principe, régis par une pure nécessité rationnelle, qu’ils ne soient pas plus hétérogènes aux principes éthiques que ne l’est un nombre entier par rapport à la règle opératoire qui l’engendre. Mais il n’en est rien, et cette hétérogénéité, c’est la liberté elle-même. On voit alors qu’il n’y a pas d’autre manière pour l’homme de reconnaître une valeur que de s’y soumettre concrètement, soumission qui doit pouvoir aller jusqu’à la mort. Et qu’est-ce qu’une valeur qui n’est pas reconnue pratiquement ? Elle peut subsister spéculativement, comme essence pure, mais non comme valeur. Et si la valeur de fait se refuse à la reconnaissance-limite, cela veut dire qu’à la limite, la valeur de droit n’a pas de valeur. La logique des valeurs est une logique implacable parce qu’elle est régie par le principe de l’extrémisme. La valeur s’éprouve à la limite.

Il résulte de notre analyse que la peine capitale n’est pas une peine comme les autres. Ce n’est plus une peine morale, c’est une peine métaphysique, qui exprime la reconnaissance sociale de la nature métaphysique de la liberté et de la personne humaine. Supprimer la possibilité de cette reconnaissance équivaut, inéluctablement, à nier la liberté et la personne.

Mais la société a-t-elle le droit de condamner à mort ?

La société, la mort et l’immortalité.

Plusieurs questions sont ici mêlées, qu’il faut aborder séparément.

Le droit de la société à infliger la peine de mort ressortit à la nature même de la société qui, en tant que telle, est supérieure aux individus qui la composent, bien que, comme personnes, ils en constituent la fin et qu’elle leur soit donc subordonnée à titre de moyen. Une société assurée d’elle-même, c’est-à-dire assurée d’être l’instrument du bien commun ne devrait éprouver aucun doute à cet égard. Il existe des erreurs judiciaires. Tout doit être mis en œuvre pour les éviter. Mais de telles erreurs de fait ne sauraient condamner le principe. Lorsque cependant une société tout entière ne se sent plus le droit d’ôter la vie à l’un de ses membres reconnu coupable, elle témoigne par là qu’elle n’est plus digne du nom de société. Tout au plus peut-on voir en elle une collection d’individus. Nous considérons bien sûr que c’est toujours la société qui condamne et jamais telle individualité. L’objection selon laquelle aucun homme ne peut en condamner un autre à mort est évidemment sans valeur, puisque le juge n’agit point en tant qu’individu, mais comme représentant de la société.

Au demeurant, en refusant d’infliger la mort, la société prend un engagement. Elle s’engage à prouver que le criminel est un malade, que le crime est un accident pathologique. Tel est d’ailleurs, nous semble-t-il, le pari de la société moderne, qui n’est plus société de principe, mais une collectivité de fait. Or ce pari ne peut être tenu qu’au prix d’une totale rationalisation des mécanismes sociaux. Si nous attribuons une telle valeur symptomatique à la peine de mort, c’est que le crime est lui-même l’acte anti-social par excellence. Le crime, c’est l’anti-société. La réaction de la société à cette agression spécifique témoigne donc de la conscience qu’elle a d’elle-même. En reconnaissant le criminel comme un malade, elle promet de le guérir et faire disparaître cette maladie en la rendant impossible. Elle s’engage par là dans un processus irréversible de coercition indéfinie. La machine sociale ne marchera réellement bien que si elle élimine toutes les causes perturbatrices. On voit généralement ces causes sous l’aspect de l’injustice sociale, de la misère, des conflits psychologiques ou des tares biologiques. Mais elles peuvent résider aussi dans la liberté humaine. En admettant que tous les malheurs sociaux soient éliminés, que tous les hommes soient équilibrés et bien portants, il peut pourtant s’en trouver un qui dérange l’ordre social pour le seul plaisir d’affirmer sa liberté, pour le seul plaisir de dire non ! Il faut donc chasser de l’être humain jusqu’à l’ombre d’une telle possibilité.

La deuxième question qu’il faut maintenant aborder, est celle du caractère sacré de la vie. Disons-le tout de suite : une société qui a peur de la mort est une société qui a peur de la vie. On prétend que la peine de mort, loin d’effrayer le criminel, exerce sur lui une attirance morbide, et qu’elle ne diminue pas la criminalité. Peut-être faut-il distinguer. Sans doute cette peine ne peut-elle empêcher un crime passionnel dont elle est d’ailleurs rarement la sanction. Mais le témoignage de prisonniers politiques qui ont été enfermés avec des malfaiteurs « professionnels », prouve au contraire que la crainte du châtiment suprême est chez eux très réelle. Cependant, outre cette utilité qui nous paraît incontestable, nous voulons considérer l’aspect plus proprement moral et métaphysique.

En condamnant le criminel à mort la société lui rend en fait un ultime hommage. Elle honore en lui l’agent libre qui a agi en toute connaissance de cause, elle le reconnaît comme l’un des siens, comme une personne capable de répondre sur sa vie de son acte, capable de payer le prix de sa liberté. Nous revenons ainsi toujours au même thème. Ou bien la liberté est une réalité première, ou elle n’est pas. Réalité première, elle comporte le risque dernier, celui de la vie elle-même. Sinon le criminel n’est plus un homme, mais un produit socio-chromosomique. Il y a un proverbe qui résume toute cette doctrine. Il dit : noblesse oblige.

Enfin la troisième question qui nous paraît ici en jeu est celle de l’immortalité. Car, on l’aura sans doute remarqué, nous n’avons parlé jusqu’ici que de la vie corporelle. Peut-être touchons-nous maintenant à l’une des raisons majeures du rejet de la peine de mort. Si, pour la sensibilité moderne l’idée du châtiment suprême est insoutenable ou injustifiable, c’est qu’au fond, l’homme d’aujourd’hui ne croit plus à la personne immortelle.

Dès lors la mort corporelle est l’anéantissement total. Elle n’est plus un châtiment, elle est un meurtre. Nous retrouvons à ce propos l’argument que nous exposions précédemment, selon lequel toute peine devant s’appliquer au sujet coupable, la peine de mort qui détruit le sujet, ne peut appartenir logiquement au registre des peines. Et cela est irréfutable s’il est vrai que la vie corporelle constitue toute la vie humaine. On pourrait même dire que, s’il en est ainsi, la peine de mort doit être rejetée parce ce qu’elle exclut le pardon. Or il est certain que la possibilité du pardon est inséparable de la sphère éthique et qu’il en constitue le pôle supérieur, si le châtiment suprême en constitue le pôle inférieur. Exclure la possibilité principielle du pardon, c’est affirmer l’existence d’une faute matériellement absolue, ce qui implique contradiction. C’est l’esprit de péché qui est sans pardon, non tel péché déterminé. Mais, précisément, pardon et châtiment ne se situent pas au même degré, et l’un ne doit pas rendre l’autre impossible, puisqu’ils sont tous les deux nécessaires. On voit par là que la peine de mort est d’essence religieuse et n’a de signification que dans la perspective d’un destin posthume de l’être. Conformément à la loi des actions et réactions concordantes qui régit les réalités d’un même degré, la peine de mort n’atteint que le corps qui a lui-même été la cause seconde du crime. Elle suppose donc que le corps est considéré dans sa réalité objective, et qu’il n’est plus identifié au sujet. Dès lors elle n’est plus incompatible avec le pardon qui s’adresse à l’âme immortelle. Que l’on songe à Gilles de Rais conduit au supplice par la foule processionnante des parents de ses victimes qui priaient pour lui.

Ce n’est pas par goût de la difficulté que nous avons choisi de rappeler la véritable signification de la peine de mort. Nous n’ignorons pas que notre société la comprend de moins en moins et que notre sensibilité en supporte l’idée de plus en plus difficilement. Fallait-il rappeler qu’il y a aussi des crimes calmement accomplis, qui témoignent d’une cruauté, d’un sang-froid et d’un égoïsme non moins insoutenables ? Mais sans doute est-ce un fort instinct qui parle aujourd’hui, celui d’un monde qui ne croit plus ni à lui-même, ni à l’homme, ni à Dieu, et peut-être en effet fallait-il supprimer la peine de mort, puisqu’il ne se sent plus digne de l’appliquer. Pourtant, nous ne saurions oublier, à l’aube de la philosophie occidentale, l’exemple d’un autre condamné à mort. D’entre les Grecs, aucun ne fut plus sage que lui, nulle condamnation sous le ciel athénien ne fut plus injuste. Mais pendant que ses disciples pleuraient sur lui, dans sa prison, Socrate leur enseignait le chemin de l’immortalité.



P. S. Ces lignes ont été écrites il y a onze ans (1971) à une époque où la thèse abolitionniste n’avait pas encore triomphé. C’est pourquoi nous avons dû modifier le temps de quelques verbes. Pour le reste, nous n’avons rien changé. Nous considérons toujours comme fondamentale et décisive notre démonstration, contre laquelle, jusqu’ici, ne s’est élevée aucune objection capable de la renverser. Mais, nous n’avons jamais douté que le parti abolitionniste triompherait, s’imaginant réaliser ainsi un grand progrès pour l’humanité. Corrélativement -- et de cela non plus nous ne pouvions douter – la même société a légalisé l’avortement. Ainsi, il n’est plus permis de tuer d’effroyables monstres, mais on peut assassiner des millions d’innocents, lorsqu’ils nous gênent, de même que l’idée de la guillotine gêne la sensibilité de l’homme moderne. De l’une comme de l’autre on se débarrasse. C’est à de tels parallèles qu’on mesure le degré de déchéance de notre « civilisation ». Voici maintenant l’avortement gratuit ; bientôt on allongera le délai légal et l’on assassinera des embryons de quatre ou cinq mois ; ailleurs, on trafique de la chair humaine au nom de la science, de la boucherie et des parfumeurs. Notre société s’enfonce dans l’horreur et l’ignominie. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que s’il y avait eu un évêque français, mitré et crossé, pour interdire à MM. Giscard d’Estaing et F. Mitterrand l’entrée de l’église où ils allaient dominicalement recueillir les voix catholiques, et les frapper publiquement d’excommunication majeure nous n’en serions pas là, et le pouvoir libéral ou socialiste eût reculé. Mais il n’y eut aucun évêque et le sang des innocents massacrés crie vers le ciel.

(1) Nous l’acceptons à titre d’hypothèse, et afin de donner toute sa force à la thèse abolitionniste. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit pour nous hors de doute, tant s’en faut. La théorie du « chromosome surnuméraire » responsable de la criminalité, très en vogue au moment où fut rédigée cet article, a depuis été complètement abandonnée.

(2) La liberté de n’importe quoi est rigoureusement identique à l’absence de liberté. La liberté est toujours liberté de faire quelque chose de déterminé.

(3) Nous reviendrons éventuellement sur cette question essentielle. Il n’y a rien de plus facile de critiquer un principe à partir des faits, c’est à la portée du premier venu, mais aussi rien de plus faux. Aucun fait négatif ne peut invalider un principe qui est bon.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Le seul qui devrait subir la peine de mort, c'est ce vieux débris de Borella, vieille merde fasciste, qui, comme son acolyte le sénile Hani, sont des vomissures et des insultes au vrai christianisme. Borella est un con, un raté minable qui fut subjugué par le pervers et tout aussi débile Schuon, et qui n'a jamais rien valu, ni en tant qu'universitaire, ni en tant que chrétien ni en tant qu'humain.
Mort aux cons, euthanasions les borellas et autres merdes du genre!

Anonyme a dit…

Qui est le débile qui écrit ce qui figure au-dessus ? Ce sont des propos dignes d'un exorcisme de possédé...

Anonyme a dit…

Implacable, très solide.
D'autant plus impressionnant que ce texte daterait de 1971.
L'extrait ci-après m'a étonné tellement il paraît illustrer la mentalité délirante du pouvoir allant s'accélérant:"Le crime, c’est l’anti-société. La réaction de la société à cette agression spécifique témoigne donc de la conscience qu’elle a d’elle-même. En reconnaissant le criminel comme un malade, elle promet de le guérir et faire disparaître cette maladie en la rendant impossible. Elle s’engage par là dans un processus irréversible de coercition indéfinie. La machine sociale ne marchera réellement bien que si elle élimine toutes les causes perturbatrices. On voit généralement ces causes sous l’aspect de l’injustice sociale, de la misère, des conflits psychologiques ou des tares biologiques. Mais elles peuvent résider aussi dans la liberté humaine. En admettant que tous les malheurs sociaux soient éliminés, que tous les hommes soient équilibrés et bien portants, il peut pourtant s’en trouver un qui dérange l’ordre social pour le seul plaisir d’affirmer sa liberté, pour le seul plaisir de dire non ! Il faut donc chasser de l’être humain jusqu’à l’ombre d’une telle possibilité."
Coercition infinie et refus de plus en plus évident de la liberté de conscience. On y est.
Hypemc

Anonyme a dit…

à lire aussi:
http://aristidebis.blogspot.fr/2014/02/plaidoyer-pour-la-peine-de-mort-55.html

Hypemc